21 septembre 2007

LE PASSÉ POUR S’APPROPRIER UN QUARTIER

Journées du Patrimoine. Aux côtés des institutions traditionnelles, les habitants proposent parfois des visites pour découvrir les richesses d’un quartier. Zoom sur le 3e arrondissement avec une visite guidée qui a tout d'un voyage dans le temps.

« Les journées du patrimoine permettent de découvrir, redécouvrir ou regarder autrement la ville. De s’interroger sur ce que l’on voit, les immeubles, les trottoirs, ou les noms de rue… Ce qui participe d’une démarche citoyenne quand on finit par se demander si ce qui est fait nous convient ». Jakline Eid est présidente du CIQ Mirabeau-Villette dans le 3e arrondissement de Marseille. Elle organisait hier une visite guidée de ce quartier en mutation. Ce type d’initiatives qui témoigne d’une appropriation des quartiers par leurs habitants, se développe de plus en plus dans les programmes des journées du patrimoine. Avec un certain succès. La veille, quelques trois cents personnes ont participé à la visite organisée par les Amis des Aygalades (CIQ, historiens, habitants…) sur le Vallon des Carmes. Hier, à midi et demi, plus d’une vingtaine de personnes ont ignoré le repas dominical pour venir arpenter les rues du périmètre Euromediterranée, venant avec des enfants et parfois même des 8e ou 9e arrondissements.

Une zone chamboulée au 2e Empire comme elle l’est aujourd’hui

Première étape, à la sortie du métro Clary. « Avant le 17e siècle, ce quartier était une plaine marécageuse, alimentée par au moins deux ruisseaux. Avec la construction du port de la Joliette et l’arrivée du train à Marseille, c’est devenu une réserve foncière importante d’abord pour des entrepôts puis pour des habitations » campe tout d’abord Jakline Eid, avant de poursuivre « Cette zone a donc été chamboulée au Second Empire, tout comme elle l’est aujourd’hui avec le projet Euroméditerranée et de manière similaire puisqu’il s’agit à nouveau de faire glisser le cœur économique de la ville ».

Le groupe se tourne alors vers les deux îlots compris entre les rues Ruffi, Peyssonnel et le bd Salengro. Pour l’heure, le paysage est celui d’entrepôts dégradés ou en cours de démolition. Prochainement, ils accueilleront la réunion de deux hôpitaux – Paul Desbief et Ambroise Paré – sans oublier une école d’infirmière. Un peu plus loin, on devine la toiture de nouveaux bâtiments ayant remplacé des entrepôts et accueillant désormais les services informatiques de la ville de Marseille. Deux exemples qui illustrent le propos sur la mutation économique du quartier désormais tourné vers le tertiaire. Mais la présidente du CIQ attire surtout l’attention sur le rythme des constructions : « nous avons beaucoup de mal à faire comprendre aux élus que nous voulons des espaces de respiration, des parcs, des squares, des zones sportives et que si l’on doit faire venir de nouveaux habitants il faut prévoir en amont ou au moins en même temps, tous les services qui vont avec ».

Construire ce qui pourrait exister n’importe où ailleurs

Autre escale à l’angle de la rue Clary et du Chevalier Paul. L’index de la guide pointe le premier programme immobilier d’Euromediterranée, le « fameux » îlot M5. « Ils ont eu l’heureuse idée de conserver l’architecture d’origine des ateliers Gontrand qui proposent de magnifiques lofts » s’enthousiasme Jakline Eid, avant de regretter : « à côté en revanche, tout a été détruit pour édifier des constructions qui pourraient exister n’importe où ailleurs. C’est pourtant en gardant des traces du passé que l’on propose aux gens des fils conducteurs qui leur permettent de s’approprier un quartier ».

A deux pas du carrefour, le collège Jean-Claude Izzo propose une nouvelle occasion d’enthousiasme : « c’est une construction Haute Qualité Environnementale qui est ouverte sur le quartier. Concrètement, les installations sportives sont mises à disposition des associations du quartier, tout comme l’auditorium ».

En écoutant Albert Londres

Cette même rue du Chevalier Paul propose de nouveaux exemples d’entrepôts en cours de destruction tandis que, plus loin, s’érigent de nombreux immeubles de bureaux ou de logements, effectivement typiques de la production architecturale de la promotion immobilière. Cependant, tourner rue Melchior Guinot permet de dénicher quelques lieux de résistance, comme la façade du bel atelier Richardson, datant de 1855.

Puis Jakline Eid de bifurquer pour retourner sur « ses terres » du 3e arrondissement. Au pied de l’immeuble Le Marceau, elle raconte la rue Peyssonnel et son bidonville de jadis où venait s’agglutiner tous ceux qui espéraient trouver du travail sur le port. Elle emporte son public au début du 20e siècle en lisant quelques phrases d’Albert Londres sur ce « bidonville Milliard ».

Quelques mètres plus loin, elle le ramène à aujourd’hui, racontant « l’épopée Fonscolombe ». « La colline de la Villette a été lotie en 1984. Les immeubles proposaient une réelle mixité avec des appartements bien pensés : grands, dotés de terrasse, conçus pour ne jamais voir le voisin, avec une école, un centre social… Peu à peu, la copropriété a périclité. Les jeunes font n’importe quoi, les vieux sont perdus et les pouvoirs publics s’en foutent Cependant, avec des associations et les services de police nous tentons de remonter, de reprendre les jeunes en main ».

Non seulement Jakline Eid est une optimiste, mais elle refuse de rater le coche Euroméditerranée pour voir son quartier rester une poche de pauvreté en frontière de nouveau cœur économique.

Angélique Schaller

Article publié dans la Marseillaise

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